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16 décembre 2010

8. Officiers ou Soldats ?

Nous avions reçu une peau de mouton pour nous protéger. Cela signifiait-il que le bataillon était promu en corps d’élite ? Que nous n’aurions plus d’attaque avant le printemps prochain ?  Cette fourrure cousue de bandes blanches et jaunes croisées nous protégeait le torse. Officiers et soldats, on se ressemblait tous !  

British Soldiers In Their New Goatskin Coats Issued By The War Office For The Winter Of 1914.jpg

Sauf pour les hauts gradés que l’on reconnaissait à l’expression hautaine de leur visage, ou leur stick coincé sous l’épaule. Par contre, les officiers supérieurs portaient des bottes à lacets qui leur montaient jusqu’aux genoux J’avais même pensé de demander à mon père de m’en envoyer une même paire . Mais le dégel s’annonça pour la 3e semaine de décembre, ce qui, hélas, nous ramènerait cette misérable boue. De plus, avec une grande appréhension dissimulée, un ordre nous parvint : une offensive à travers le No Man’s Land vers les lignes allemandes serait programmée pour le 2e jour après la nouvelle lune. Nous servirions de support.

La compagnie se trouverait au coin du bois, prête aux corps à corps pour supporter le bataillon régulier des « Rifle Brigade ». L’objectif était une maison du No Man’s Land appelée la « Snipers’house » et à partir de là, en avant vers une portion de ligne ennemie qui pouvait prendre dangereusement en enfilade nos tranchées.


 

15 décembre 2010

7. L’agonie de l’hiver.

 

dug froid.jpgA l’approche de Noël, durant un après-midi, un froid glacial vint s’installer subitement sur la région pourtant calme.  Au milieu de la nuit, tout était gelé à pierre fendre : les arbres comme les bunkers, les sentiers et même les sentinelles abritées de leur cagoule et leur capote. Parmi les soldats dernièrement arrivés, certains ne pouvaient s’empêcher de pleurnicher. Seuls les anciens soldats qui avaient chapardé des sacs de jute et de la paille à la « Inniskilling farm » juste à proximité du bois, pouvaient y enfoncer leurs bottines pour se protéger du froid. Ceux-là restaient calmes et réussissaient à dormir.

Couché à l’extérieur, près de l’entrée d’un bunker, un homme qui ne s’était pas protégé les pieds, souffrait tellement qu’il agonisait. Un autre, soudain, se leva et alla en clopinant sur un pied voir une fusée lancée par-dessus les arbres.

La seule bonne chose à faire était d’allumer un feu et d’y faire bouillir de l’eau pour boire un « nestlé-café au lait ». Heureusement, beaucoup de branches cassées, d’un bois encore vert trainaient par terre et convenaient quand même pour brûler.

Combien d’heures d’insomnie avons-nous passé à souffler et à éventer ces petites braises qui crépitaient ?

 hiver tranch.jpgAussi vite que je m’asseyais ou que je me levais pour battre des bras afin de me réchauffer, la lueur rouge du petit feu faiblissait. La fumée me piquait aux yeux. Les flammes disparaissaient dès qu’on cessait de ventiler. Emmitouflé de mon manteau tout boueux et rigide comme du carton, j’avais les bras frigorifiés dans les manches durcies comme des drains. A nouveau, je tentai de m’endormir mais la douleur m’en empêchait ; je me suis trainé à l’extérieur pour respirer l’air pur tandis que la mitraille continuait de claquer dans les arbres givrés. J’avais soif !  L’eau de ma gourde était gelée aussi. Après l’avoir mise près du braséro, elle commença à suinter et à pisser. Tous les autres bidons gardés près des fusils et des équipements connurent le même sort. 

 

14 décembre 2010

6. Affreux No Man’s Land

 

Après les pluies, le brouillard descendait sur une campagne morne sans âme qui vive, avec ses maisons et ses fermes démolies, ses carcasses d’animaux morts dans le No-man’s-land. Au-delà du parapet : le néant ! Même pas l’apparition d’un Allemand…excepté ceux qui étaient morts,gadoue 2.jpg gisant encore immobiles dans des positions de repos, à même cette terre froide pour s’enfoncer petit à petit dans l’argile molle extraite des tranchées ennemies et jetées par-dessus leur barbelés.

Les nuits de brouillard cachaient la brillance des fusées éclairantes. A l’intérieur du bois, cette brume se faisant plus épaise, amplifiait le bruissement des arbres givrés, le claquement des chemins en « palettes », des étables, des hangars mais le brouillard tonifiait l’air à la levée du jour !

Sur l’eau boueuse stagnant dans les trous d’obus, le gel provoquait de fines plaques de glace. A l’aide de boîtes de ration en fer blanc vides, on récupérait cette glace pour en préparer le thé. La ration journalière de thé était mélangée à du sucre, dans des sacs. Comme il était agréable aussi de pouvoir s’accroupir dans le bois, autour d’un petit feu. Néanmoins, cette position devenait très laborieuse dans les allées non encore aménagées de rondins. gadoue.jpgCette lourde terre glaise collait aux bottines, partout. Mais qu’importe, disions-nous, il vaut mieux être sale plutôt que d’être encore dans cette misérable tempête, dans la pluie et le froid, comme lors des derniers jours de la bataille d’Ypres. Cet épisode du front a marqué nos mémoires !

 

13 décembre 2010

5. A l’approche de nos tranchées

 

Notre compagnie de garde s’avança par le chemin et atteignit la lisière du bois de laquelle on pouvait déjà distinguer le parapet des tranchées allemandes, éclairées ça et là.

Notre tranchée se situait juste à l’intérieur du bois et, dieu merci, n’était pas inondée. Devant les cagnas montés en sacs de sable, les occupants debout, attendaient la relève. Une bien chose pour eux !

road.jpgDès lors, une période de 8 jours commença pour la 1ère Compagnie : deux jours dans les tranchées, suivis de deux jours à l’arrière en « réserve », puis deux dans les bois en soutien, puis à nouveaux deux dans les premières lignes.

Tout cela n’avait rien de rassurant : le danger était permanent. Le sifflement incessant des balles éveillait autant notre curiosité que la crainte d’être pris pour cible par un tireur posté là-bas, à l’affût. Il fallait aussi  assurer le travail en tranchées: terrassement durant la journée, réparation du parapet, les corvées nocturnes dans les bois, tant que la météo le permettait.  Une tranchée très bien réalisée devait disposer d’un parapet en sacs de sable et même de meurtrières. Elle s’étendait sur une longueur de 45 m et son sol était recouvert de boîtes de « bully-beef » non ouvertes, provenant des stocks planqués dans les bois et qui avaient été éparpillées un peu partout par ceux qui avaient installé les chemins en rondins. Ceux-là étaient des volontaires, pas encore très barbus pour le moment mais qui avaient les orteils dépassant de leurs godasses. On les avait prévenus qu’un mégot de cigarette jeté le long du chemin était une faute sévèrement punissable.

gadoue tranchee.jpg
Toutes les tranchées avaient pourtant été bien creusées et soigneusement consolidées, mais la pluie ruisselant sur l’argile jaune ne manqua pas de tout abîmer. On était trempé jour et nuit et notre capote pesait le double par la boue qui y collait. Lorsque l’eau nous arrivait à la ceinture, ne disait-on pas ironiquement : « On s’est engagé pour cela ! ». 

 

12 décembre 2010

4. A travers bois

Mais ce triste soir de décembre s’acheva lorsque le 1ère Compagnie approcha de ce bois obscur aux arbres nus. Nous empruntions un bon chemin en dur mais bosselé qui s’avançait au milieu des arbres. Attention aux entorses ! bois ploeg.jpgMais il était quand même confortable d’y marcher après les champs de boue traversés  précédemment. C’était comme si nous marchions sur une échelle irrégulière et large faite de bâtons sciés et liés les uns contres les autres, attachés à de grosses branches de chêne.

Les fusées éclairantes allemandes furent lancées en l’air, des belles ombrelles crépitèrent. A chaque détonation, les nouveaux arrivés se penchaient la tête, tandis que les anciens du bataillon  initial se baladaient bien droit, marmonnant parfois : « N’ayez pas peur, les gars ». Le Les anciens leur avaient donné le même conseil, quelques semaines auparavant.

Nous arrivions à une croisée de chemins dans les bois tandis qu’un faisan se mit à caqueter en s’envolant à côté de nous. Des bunkers bien camouflés dans les arbres, des lueurs de brasiers apparaissaient. C’était très réconfortant. Des soldats, en passe-montagne de laine et casqués y trainaient là. bois endormi.jpg
« Quoi de mieux qu’ici, camarade ? » était l’inévitable question. « Pépère ! » était la réponse, tandis qu’on s’allumait une cigarette. La scène se répéta et l’on se sentait chaque fois très heureux à côté de ces braséros remplis de coke en feu. 

11 décembre 2010

3. Retourner vers les lignes

 

tired.jpg
L'après-midi suivant, le sergent du peloton alla de logement en logement donner l’ordre : il faudra monter vers les lignes le soir même.

La lune  rougeâtre traversait le ciel. Elle nous rappelait l’intérieur des bistrots, les pavés argentés, les façades colorées de la Grand-Place.

Un halo vaporeux entourait ce dernier quartier de lune. Un vent humide soulevait les toiles de tentes qui enveloppaient soldats et barda. Soufflant de sud-ouest, il apportait aussi la pluie sur la sombre plaine des Flandres : ce qui nous empêchait de penser encore à quelques bons souvenirs.

Nous marchions le long d’une route bordée de peupliers dont les branches se découpaient devant l’horizon désolant de la ville d’Ypres bombardée.135153-050-D8DDC147.jpg Tout en avançant, alors que la tempête soufflait violemment, le ciel s’illuminait d’éclairs, la nuit grondait sous les coups de canon.

Finalement, on s’arrêta pour enfin écouter une bonne nouvelle : la compagnie serait  « de réserve » ce qui nous permit de nous loger dans des étables ou des bâtiments de ferme au toit de chaume. Hélas… ce soulagement cessa lorsque le commandant précisa que nous prendrions part à la ligne du front dès le soir suivant.

« Les Allemands, disait-il, ont attaqué plus bas, au sud. Ce qui fait que nous devons rester dans la brigade de réserve. C’était pourtant un secteur calme du front, mais, par des feux de diversion, l’armée a pu soulager la pression.

« Chouette », nous nous sommes dit, en pénétrant dans nos logements pour dormir sur un plancher. De pouvoir se chauffer auprès d’un grand foyer ! C’est bon pour la troupe ! 

 

10 décembre 2010

2. L’inspection par le Roi

 

Durant la 1ère semaine de décembre 1914, l’ Roi Georges V, empereur,

king_george_v.jpg

 vint à St-Omer (dans le nord de la France) au Quartier Général de la Force Britannique Expéditionnaire. Ainsi donc, l’ordre avait évidemment été donné à toutes les unités de se préparer pour cette inspection royale.

Le roi, en uniforme de campagne, chaussé de bottes à éperons dorés, portant une barbe brune et poches sous les yeux, était accompagné de Sir J. French, maréchal de campagne suivi d’autres officiers. Il passa l’inspection des soldats muets, au regard vide. Ceux-ci entendaient bien ce que le roi, de sa voix grave, disait aux officiers ! On était bien loin de la réalité du terrain.

Derrière lui, le prince de Galle avec son énorme moustache, suivait dans un uniforme impeccablement propre. trench inspection.jpgIl sortait de lot et n’avait d’yeux que pour lui-même. De sa mince silhouette, le Prince, en tenue de grenadier, semblait chercher quelque chose au-delà de la réalité immédiate : un visage insignifiant dans l’ombre de son père.

 

09 décembre 2010

Voici le début de la narration de Henry Williamson

 

1. Après le 19 décembre…

La première Bataille d’Ypres avait pris fin !  Les pluies diluviennes de la 2e semaine de novembre en avaient décidé ainsi. Notre bataillon, le « London Regiment Territorials » rentrait en  repos, oubliant quelque peu les soldats tués, gisant immobiles entre les lignes allemandes et britanniques sur cet affreux champ de bataille.

ypres-wwi-t7167.jpg« Repos » ne signifie rien d’autre : « fini les fatigues, fini le transport des cadavres ». Il sous-entend aussi : lettres et colis envoyés de la famille, souvenir des nuits folles dans les estaminets d’ Hazebrouck à boire du café-la-goutte, à fumer comme des pompiers, à rigoler à l’unisson.


Après certainement 48 heures d’une marche qui ne menait nul part, et autant pour le retour, de nouvelles têtes remontaient de la base.

D’après ce que l’on disait là-bas, au pays, cette guerre semblait n’être qu’une série d’explosions, avec leurs détonations sourdes secouant l’horizon en éclairant la plaine, les bois, les champs cultivés, gorgés d’eau par les ornières.images (1).jpg

 

08 décembre 2010

Dis, raconte-moi cette fameuse Trêve de Noël !

younghw1915.jpgA Comines-Warneton, et plus spécialement à « Plugstreet », on connaît bien Bruce Bairnsfather qui a largement raconté la Pacification de Noël 1914 sur le front de St-Yvon.  Un autre soldat britannique, moins connu, Henry Williamson, a narré son vécu du fameux mois de décembre 1914 dans un récit écrit en anglais que j’ai traduit avec un maximum de fidélité. Cette Trêve de Noël l’a profondément marqué, et durant toute sa vie, il a voulu témoigner et poursuivre le “Devoir de Mémoire”  qu’il s’était promis de divulguer au lendemain de ce terrible hiver 1914.

Pour terminer l’année 2010 avec le souhait que cette Pacification entre  belligérants puisse un jour se répéter et faire tomber les armes , je vous propose de lire les différents épisodes de ce « Rétroviseur » spécial Noël 1914.